Tribune: Le Monde « Un journaliste est emprisonné juste pour un tweet dénonçant l’injustice de la justice »

6:35 PM Aida Alami 0 Comments


Un collectif dénonce, dans une tribune au « Monde », les atteintes à la liberté d’expression au Maroc après l’arrestation du journaliste Omar Radi pour avoir publié un tweet critiquant une décision de justice condamnant des contestataires du Rif.

--

Tribune. Omar Radi, un journaliste marocain de 33 ans, dort en prison depuis le 26 décembre pour un tweet publié neuf mois auparavant. Nous, journalistes, intellectuels, penseurs, artistes et citoyens soucieux de défendre la liberté de la presse et d’opinion, tenons à lui exprimer notre soutien face à ce qu’il a toujours dénoncé : la condamnation et l’incarcération arbitraire d’activistes et de journalistes pour leur prise de position en faveur de la justice sociale et pour le respect des droits humains.

Les faits remontent au mois d’avril. A cette période, un juge de la Cour d’appel de Casablanca avait confirmé des peines allant jusqu’à vingt ans d’emprisonnement à l’encontre de 42 membres du Hirak, un mouvement de contestation sociale qui a agité le nord du Maroc en 2016 et 2017. Omar Radi avait alors pourfendu la cruauté de cette décision. Convoqué une première fois, le 18 avril, par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), il avait défendu son droit à l’expression libre et sa liberté d’opinion, garantis par la Constitution marocaine et les conventions internationales ratifiées par le royaume, notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques. Mais à l’occasion de sa seconde convocation, le 26 décembre, Omar a été déféré devant le procureur d’Aïn Sebaa et le juge a alors ordonné sa poursuite sur la base de l’article 263 du code pénal pour outrage à magistrat, refusant par ailleurs sa demande de liberté provisoire alors même qu’elle était justifiée par son état de santé. Un journaliste est emprisonné juste pour un tweet dénonçant l’injustice de la justice.

 Cette affaire, qui survient seulement quatre mois après l’arrestation de la journaliste Hajar Raïssouni, met en lumière des manquements graves à la liberté de la presse et d’opinion au Maroc. Une nouvelle fois, c’est un journaliste qui couvre les sujets liés à l’injustice sociale, à la corruption et aux droits humains qui est visé. Ses enquêtes rigoureuses, saluées notamment par le Prix du journalisme d’investigation IMS-AMJI, lui ont déjà valu par le passé l’hostilité des autorités marocaines. En 2017, par exemple, il avait été arrêté puis relâché par les autorités marocaines durant la préparation d’Hirak Rif : la mort plutôt que l’humiliation, un documentaire sur les mouvements sociaux au sein de la ville d’Al Hoceïma.

Six journalistes condamnés à de la prison ferme

Au-delà de la poursuite d’Omar Radi, nous voulons souligner que l’exercice de la liberté d’expression au Maroc connaît de graves restrictions. Après une année 2018 qui a vu six journalistes injustement condamnés à de la prison ferme pour leur couverture du Hirak 1, l’étouffement des voix les plus libres du pays se poursuit. Plusieurs procès récents pour délit d’opinion sont ainsi engagés ou ont déjà été jugés, essentiellement au pénal. Et ces lourdes pressions exercées par les autorités concernent également les libertés sur Internet. Le jour où Omar a été placé en détention, un youtubeur connu sous le nom de Moul Kaskita a été condamné à quatre ans de prison pour « offense au roi ». Quelques jours auparavant, un lycéen s’est vu infliger trois ans de prison pour avoir posté sur Facebook une publication reprenant la chanson du rappeur Gnawi, lui-même condamné à de la prison ferme pour « atteinte à un corps constitué. »

Les mesures coercitives contre la liberté de la presse et le droit d’informer se sont multipliées ces derniers mois. Les poursuites engagées contre des journalistes, des blogueurs ou de simples internautes, ainsi que le délai de latence qui s’est écoulé entre la première convocation d’Omar Radi et la réactivation de la plainte, nous permettent de supposer que son arrestation se situe dans le sillage d’une large campagne visant à restreindre les libertés d’expression et d’opinion des citoyens marocains.

Quand on songe qu’Omar Radi est désormais emprisonné pour avoir dénoncé l’absence de dignité des fonctionnaires de justice qui emprisonnent les manifestants du Hirak en se justifiant de ne faire qu’exécuter les ordres, la justice marocaine confirme pour le moins par l’emprisonnement du journaliste l’indignité dont celui-ci l’accuse. Selon l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la liberté d’opinion et d’expression ne doit connaître ni obstacles ni frontières.
C’est pourquoi l’arrestation d’Omar Radi n’est pas seulement l’affaire des Marocains. Elle doit susciter l’indignation de toute personne attachée aux droits humains les plus fondamentaux, partout dans le monde.

Adonis, poète ; Aida Alami, journaliste ; Khaled Al Khamissi, romancier égyptien ; Reda Allali, artiste ; Kader Attia, artiste ; Claude Askolovitch, journaliste ; Omar Balafrej, parlementaire marocain, Fédération de la gauche démocratique ; Etienne Balibar, philosophe ; Fouad Bellamine, artiste ; Faouzi Bensaidi, cinéaste ; Houda Benyamina, cinéaste ; Olivier Besancenot, membre du NPA ; Sophie Bessis, historienne ; Mahi Binebine, peintre et écrivain ; Ian Brossat, adjoint à la Mairie de Paris ; Barbara Cassin, philosophe ; Patrick Chamoiseau, écrivain ; Noam Chomsky, philosophe ; Jérôme Clément, écrivain ; Alexis Corbière, député de la France Insoumise ; Mireille Delmas Marty, juriste et professeur au Collège de France ; Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice ; Nassira El Moaddem, journaliste ; Aziz El Yaakoubi, journaliste ; Éric Fassin, sociologue ; Abbas Fahdel, cinéaste ; Raphael Glucksmann, écrivain et député européen « place publique » ; Gael Faye, chanteur et écrivain; Yasmine Hamdane, auteure compositeur interprète ; Pierre Haski, journaliste et président de Reporters sans frontières France ; Hicham Houdaifa, journaliste ; Imhotep, rappeur ; Aboubakr Jamai, enseignant et journaliste ; Amazigh Kateb, auteur-compositeur interprète ; Leila Kilani, cinéaste ; Driss Ksikes, écrivain ; Robert Littell, écrivain ; Édouard Louis, écrivain ; Bachar Mar Khalifé, auteur, compositeur, interprète ; Laïla Marrakchi, cinéaste ; Hind Meddeb, réalisatrice ; Guillaume Meurice, journaliste ; Youssef Mezzi, membre d’attac ; Mobydick aka Lmoutchou, rappeur ; Marie-Josée Mondzain, philosophe ; Olivier Mongin, écrivain ; Rosa Moussaoui, journaliste ; Ayla Mrabet, journaliste ; Jean-Luc Nancy, philosophe ; Selim Nassib, écrivain ; Oum, auteure, compositeur, interprète ; Edwy Plenel, journaliste ; Hajar Raissouni, journaliste ; Karim Rissouli, journaliste ; Ghita Skali, artiste ; Leila Shahid, ancienne ambassadrice de Palestine ; Françoise Vergès, politologue ; Abdellah Taïa, écrivain ; Rachid Zerrouki, instituteur.
Liste complète des signataires sur cette page.





You Might Also Like